Troisième Promotion du Diplôme Universitaire du Compliance Officer, Spécialité LBC/FT

Le 20 juin 2019, les étudiants du diplôme universitaire du présenté leur soutenance à Paris1.Pour la troisième année consécutive, l’accréditation a été délivrée par le département de droit et de science politique de l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines avec le soutien de l’association des spécialistes certifiés de la lutte contre le blanchiment d’argent, l’ACAMS (pour Association of Certified Anti-Money Laundering Specialists)2. Le diplôme offre aux professionnels de la conformité ainsi qu’aux non-professionnels, l’opportunité d’approfondir leurs connaissances. Les étudiants ont affronté un jury composé d’experts issus des secteurs public et privé et ont présenté la cartographie des risques de blanchiment et de financement du terrorisme d’une structure de leur choix.

L’année dernière, le Chapitre France de l’ACAMS avait choisi de commenter le travail final d’un groupe ayant opté pour une plateforme de monnaies virtuelles3. Cette année, le curseur a été placé sur l’art, le blanchiment et le financement du terrorisme. Ceci pour trois bonnes raisons.

Raison 1: Le Cadre Juridique de L’art Évolue

Le Groupe d’action financière(GAFI)n’exige pas des professionnels des métiers de l’art qu’ils se conforment aux règles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT) et, par conséquent, ces métiers se retrouvent globalement sous-régulés à travers le monde. L’Union Européenne (l’UE) a néanmoins récemment choisi de renforcer le cadre législatif de ces métiers. La 5ème directive en matière de lutte anti-blanchiment (LAB)4(pour The Fifth AML Directive)les cible directement et assujettit les négociants en œuvres d’art et les commerçants agissant en tant qu’intermédiaires ou conservant des œuvres dans des ports francs si le montant de la transaction ou le montant d’un ensemble de transactions liées entre elles atteignent au moins 10.000 mille d’euros (opérations en espèces y compris). Et force est de constater que de nombreuses transactions impliquent des montants supérieurs à 10.000 mille d’euros.

Raison 2: Une Coopération Fructueuse entre les Secteurs Public et Privé

La deuxième raison à mettre en lumière ce sujet est qu’il fournit un bel exemple de coopération réussie entre les secteurs privé et public dans le monde universitaire. Les étudiants ont eu recours à plusieurs sources d’informations. Parmi les événements régulièrement organisés par le Chapitre France de l’ACAMS, un événement dédié à l’art a été particulièrement utile. En 2016, l’ancien directeur juridique de Christie’s (une maison de ventes aux enchères des plus renommées), l’ancien responsable du syndicat national des négociants en antiquités et un colonel de la Gendarmerie5 se sont réunis afin de parler de blanchiment d’argent. La transcription du débat6a fourni une bonne base de travail aux étudiants.

Le cours pratique et opérationnel dispensé par un professionnel de la conformité précédemment en charge du département de la conformité d’une société française de premier ordre a ensuite aidé les candidats au diplôme à structurer leur projet.

Raison 3: Des Ouvres aux Lignes de Vie en Pointillés

Les œuvres d’art ont au minimum trois caractéristiques qui peuvent les rendre attrayantes aux yeux d’un blanchisseur : le halo de confidentialité qui les entoure, leur portabilité et leur prix, plus que fluctuant. Ces trois spécificités expliquent à elles seules pourquoi elles figurent parmi les options favorites du blanchisseur aux côtés des armes et des drogues et pourquoi elles peuvent représenter un tel défi pour les chargés de conformité lorsqu’il s’agit pour eux de « connaître leur produit ».

L’enquête menée autour de la nature et de la provenance de l’œuvre d’art est du ressortdu commerçant, qui doit répondre des pièces falsifiées, volées ou pillées. Les experts s’accordent à dire que les œuvres parcourent parfois de très longues distances et doivent franchir de nombreux obstacles avant d’atterrir entre les mains d’un marchand et de devenir, in fine, un véritable cauchemar pour le chargé de conformité. Les œuvres, qui relèvent du simple « produit » aux yeux du chargé de conformité, peuvent provenir de :

  • Zones de conflit : dans les zones sinistrées, la surveillance de sites, tels que les sites archéologiques ou les musées n’est plus aucunement assurée. Le Liban ou l’Irak offrent des exemples récents de sites pillés dû à une absence de contrôle gouvernemental in situ. Le destin des œuvres pillées est alors de disparaître de la circulation durant un certain temps avant de réapparaître subitement sur le marché dix ou vingt ans plus tard. Les nouveaux outils technologiques facilitent le pillage des œuvres avec leurs détecteurs de métaux, leurs pelles mécaniques ou même leurs bulldozers. Il faut s’attendre à une augmentation des pillages dans le futur ; les possibilités d’extraction et de géolocalisation se révélant de plus en plus sophistiquées.
  • Les pays de transit : le site de transit peut être un pays bénéficiant de réglementations laxistes ou un port franc à l’intérieur d’un pays. D’ailleurs, d’un point de vue technique, un port franc n’est ni plus ni moins qu’un site de transit... TracFin, la Cellule de Renseignement Financier française, nous fournit une définition claire du port franc : «Un port franc (au départ, les ports francs étaient de simples ports) sont des territoires qui offrent la possibilité de décharger, de négocier, de manier, de déplacer et de rediriger librement des biens sans avoir à payer de droits de douanes ou de taxes (TVA) et en dehors de toute surveillance douanière. Les ports francs les plus importants sont en Suisse, au Luxembourg, à Singapour ou à Pekin».7

Les pièces conservées dans les ports francs (qu’il s’agisse d’art ou de voitures de luxe) ne sont supposées que « transiter » par le port franc. Elles peuvent pourtant y rester pour un bon bout de temps. L’œuvre d’art peut ne jamais quitter son entrepôt, même une fois revendue. Elle peut, en effet, être de nouveau cédée, en toute confidentialité, à d’autres protagonistes. C’est ainsi qu’il devient possible, pour les objets, d’être vendus et achetés plusieurs fois, avant de redevenir disponibles pour une salle des ventes des années plus tard.

Dans tous les cas exposés, l’histoire de l’œuvre va devoir être partiellement inventée et les côtés les plus sombres de sa généalogie gommée. Ce qui signifie un peu plus de travail pour le chargé de conformité lorsqu’il lui revient d’établir une fiche d’identité fiable pour son produit.

Un Objet Faussement Vrai

L’œuvre d’art peut, d’emblée, être un faux ! Les faux représenteraient entre 15 et 20 % de la production totale. Dans ce cas, une histoire doit être écrite de A à Z. Pour ce faire, le faussaire ou le fraudeur va construire un scénario crédible et créer un véritable faux certificat d’authenticité. De toutes pièces.


L’un des étudiants du Diplôme Universitaire nous a autorisé à reproduire un véritable faux certificat (ou supposé tel) qui lui a été délivré par un antiquaire. Un tel certificat peut-il être pris au sérieux ?

Le produit du blanchiment des œuvres d’art peut être intégré dans le système financier grâce aux méthodes d’empilage, destinées à dissimuler encore un peu plus leur véritable provenance. L’une des méthodes les plus communes pour blanchir des fonds est de multiplier le nombre d’opérations afin de rendre la traçabilité des opérations plus opaque et l’identification du véritable détenteur ou propriétaire de l’œuvre encore plus difficile. Parfois des ventes aux enchères fictives peuvent même être organisées afin qu’un complice achète une œuvre à l’aide de fonds fournis par le blanchisseur. L’œuvre se voit ensuite vendue à une société fictive. Encore mieux ! Parfois le vendeur d’œuvres d’art se vend l’œuvre à lui-même, opacifiant encore un peu plus la généalogie de la pièce.

Des trois catégories de risques dits « classiques » et essentiels que sont le risque produit, le risque géographique et le risque client, pris en considération par tous les assujettis à la LBC/FT, l’art semble particulièrement concerné par le risque produit. Le monde de l’art semble poser des risques bien spécifiques et le KYC (pour, Know Your Customer) classique, Saint-Graal d’autres assujettis, devrait se baser,pour les métiers de l’art, sur trois piliers solides : connais ton acheteur, connais ton vendeur et connais ton produit.

Les étudiants à l’origine de cette soutenance sont Rose Lefebvre, Sarah Lepretre, Aurore Maroteau, Matthieu Menant et Alexis Morin.

Nathalie Bosse, directrice de la communication, ACAMS France Chapter, nbosse@acams.org

Dan Benisty, président, ACAMS France Chapter,
dan_benisty@hotmail.com

  1. Avec l’aide logistique de LexisNexis BIS
  2. «DU Compliance Officer, spécialité lutte-anti-blanchiment», Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, http://www.uvsq.fr/du-compliance-officer-specialite-lutte-anti-blanchiment-375904.kjsp
  3. Nathalie Bosse, «Brand New Currencies Search For Good Old Regulators» ACAMS Today, 15 Septembre 2018, https://www.acamstoday.org/brand-new-currencies-search-for-good-old-regulators/
  4. «Directive (EU) 2018/843 of the European Parliament and of the Council», Official Journal of the European Union, 30 mai 2018, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:32018L0843&from=EN
  5. Responsable de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels
  6. «Le marché de l’art : un canal pour le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ?» ACAMS, 27 Juin 2016, https://www.acamstoday.org/wp-content/uploads/2021/03/20160627-Chapter-ACAMS-Art-et-Blanchiment.pdf
  7. «La Lutte Contre le Blanchiment et le Financement du Terrorisme», La lettre d’information de Tracfin, https://www.economie.gouv.fr/files/lettre_tracfin_16_0.pdf

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