Sanctions : amendes de l’OFAC contre les entreprises européennes

Les relations entre les États-Unis et l’Union européenne (l’UE) sont sans aucun doute amicales. Toutefois, le régime de sanctions récemment mis en œuvre par le Bureau du contrôle des avoirs étrangers (OFAC, pour Office of Foreign Assets Control) du Trésor américain a créé des frictions avec le règlement de blocage de l’UE. Dans le cadre du régime de sanctions de l’OFAC, les entreprises européennes qui entreprennent des activités avec les États-Unis sont tenues de se conformer aux sanctions américaines. Parallèlement, la loi de blocage de l’UE interdit aux entreprises européennes de se conformer aux sanctions américaines contre l’Iran. Cet article examine certaines des questions découlant des régimes de sanctions européens et américains en mettant en évidence certaines des dernières tendances en matière d’application par l’OFAC des sanctions contre les institutions financières européennes. En outre, il émet des recommandations visant à atténuer les violations des sanctions de l’OFAC par les institutions financières européennes.

La loi de blocage

La loi de blocage de l’UE a été introduit pour la première fois en 1996 afin de protéger les entreprises européennes contre les effets des sanctions américaines à l’encontre de l’Iran, Cuba et la Libye. En août 20181, ce règlement a été modifié en réponse au renouvellement des sanctions américaines contre l’Iran par l’administration Trump2. Cette modification visait à protéger les intérêts des entreprises européennes, mais a engendré une charge supplémentaire en matière de conformité ainsi qu’un dilemme pour les entreprises européennes qui entreprennent des activités avec les États-Unis. Aux termes de la loi de blocage, le fait de mettre fin à une activité commerciale avec une société iranienne ou l’Iran uniquement dans le but de se conformer aux sanctions secondaires américaines est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 500 000 euros. En outre, la loi de blocage3 interdit aux ressortissants de l’Union européenne de :

  • Se conformer à toute exigence ou interdiction figurant sur la liste des sanctions américaines contre Cuba, la Libye et l’Iran (les « sanctions bloquées ») ;
  • De reconnaître ou d’exécuter tout jugement ou décision d’une autorité judiciaire ou administrative extérieure à la communauté européenne donnant effet aux sanctions bloquées.

Listes de personnes et entités faisant l’objet de sanctions de l’UE et des États-Unis

Il est plus facile pour les entreprises européennes de se conformer aux sanctions américaines lorsque les personnes et les entités sont visées par les deux listes. Toutefois, les disparités entre les listes de personnes et d’entités faisant l’objet de sanctions de l’UE et des États-Unis posent des problèmes aux entreprises multinationales et aux professionnels de la conformité.

Tandis que le respect des régimes de sanctions internationales exige un engagement délibéré de la part de la direction d’une organisation, l’incertitude et l’ambiguïté de la législation sur les sanctions et des cadres d’application mondiaux demeurent une préoccupation pour les entreprises du monde entier. Toute entreprise européenne qui souhaite se conformer aux régimes de sanctions doit en mesurer le coût et décider en connaissance de cause s’il existe une raison autre que les sanctions de l’OFAC pour cesser toute activité avec une entité faisant l’objet de sanctions américaines. Par exemple, les entreprises européennes peuvent cesser leurs activités pour des raisons commerciales sans faire référence aux sanctions américaines. Il s’agit d’une façon judicieuse d’éviter toute action découlant d’une cessation d’activité en raison des sanctions américaines.

Dérogations de l’UE

La loi de blocage ne constitue pas un moyen de défense en cas de violation des sanctions américaines. En outre, le fait de ne pas avoir obtenu de dérogation de la part de l’UE ne constitue pas un motif d’exonération du non-respect des sanctions américaines. L’OFAC n’admet aucune exception à l’obligation de conformité aux sanctions américaines et considère même l’application de la loi de blocage comme une circonstance aggravante nécessitant des mesures répressives sévères. Par conséquent, il est dans l’intérêt des entreprises européennes de demander des dérogations opportunes et appropriées lorsque leur non-conformité est susceptible d’avoir de graves conséquences sur le plan commercial.

Amendes infligées aux entreprises européennes

La majorité des amendes infligées au titre de la violation de sanctions américaines concerne des entreprises européennes et suisses. Quatre-vingt-trois pour cent du montant total des amendes, soit plus de 4,6 milliards de dollars américains, concernent des entreprises européennes. Si l’on y ajoute les amendes infligées aux entreprises suisses, leur part cumulée s’élève à 94 % (plus de 5,3 milliards de dollars américains) sur un total de 5,6 milliards de dollars américains d’amendes entre 2009 et 2019. Le nombre de cas de violation des sanctions varie selon les pays européens. Par exemple, sur les 40 amendes infligées, 15 ont visé des entreprises britanniques, alors que la France, les Pays-Bas et l’Allemagne ont chacun dû s’acquitter de cinq amendes. Les entreprises suédoises ont été sanctionnées financièrement à trois reprises, les entreprises italiennes à deux reprises, contre une seule fois pour les entreprises danoises, tout comme leurs homologues belges et autrichiennes. Enfin, une seule entreprise luxembourgeoise a dû s’acquitter d’une amende4.

Il convient de noter que 22 des 40 entreprises européennes sanctionnées étaient des banques. Depuis plus de 10 ans, les banques européennes ont payé plus de 4,5 milliards de dollars américains d’amendes5 au département du Trésor américain. La banque française BNP Paribas SA s’est vu infliger une amende de près de 963 millions de dollars américains en 2014. En 2019, la banque britannique Standard Chartered a dû s’acquitter d’une amende de près de 639 millions de dollars américains et son homologue italienne UniCredit a dû débourser un total de 611 millions de dollars américains pour le compte de ses succursales allemandes, autrichiennes et italiennes6. En 2012, la banque néerlandaise ING a dû régler une note de 619 millions de dollars américains et la compagnie britannique HSBC a payé pour sa part 375 millions de dollars américains7.

Les entreprises européennes sont fortement exposées aux sanctions américaines et la loi de blocage n’a fait que compliquer leur situation. Satisfaire aux exigences d’un programme de conformité aux sanctions de l’OFAC lorsque l’on est soupçonné de violation est une chose, c’en est une autre de faire preuve d’aveuglement volontaire face aux sanctions américaines. Les entreprises européennes qui souhaitent se conformer aux sanctions américaines contre l’Iran, Cuba, le Venezuela, ou aux sanctions en général, doivent prêter attention aux éléments suivants de leur programme de conformité aux sanctions.

Comment les entreprises européennes peuvent-elles atténuer les risques de violation des sanctions de l’OFAC ?

La première tâche d’un responsable de la conformité, et la plus fondamentale, consiste à identifier les situations qui peuvent présenter des risques en matière de conformité et à proposer des mesures visant à atténuer ces risques. Les responsables de la conformité doivent mettre en évidence les obligations de conformité applicables en vertu des sanctions américaines et de la loi de blocage en évaluant la gravité des risques. En outre, ils doivent prendre en compte l’étendue des activités de l’entreprise avec les États-Unis et l’incidence de la conformité aux sanctions américaines sur les partenaires européens avec lesquels l’entreprise est sous contrat. Toutefois, la manière dont l’entreprise procède doit être décidée par la direction générale, et non par le responsable de la conformité.

Afin d’atténuer les risques de violation des sanctions américaines, les responsables de la conformité des entreprises européennes doivent s’assurer que leurs programmes de conformité aux sanctions satisfont aux directives de l’OFAC en la matière. Lors de l’évaluation de l’efficacité du programme de conformité aux sanctions (de l’OFAC) d’une entreprise européenne, une attention particulière doit être accordée aux éléments du programme afin de déterminer s’ils répondent ou non aux normes de l’OFAC. Voici quelques-uns des éléments essentiels d’un programme de conformité efficace, tels que définis par l’OFAC8.

L’engagement de la direction

Les dirigeants des entreprises européennes doivent accorder autant d’attention aux sanctions américaines qu’aux sanctions européennes. Pour ce faire, la politique de conformité aux sanctions doit être conçue de manière à prendre en compte les sanctions américaines ainsi que l’évolution de la législation américaine en la matière. La direction générale peut demander aux responsables de la conformité de l’entreprise d’effectuer des mises au point régulières sur les sanctions de l’OFAC en surveillant les publications en ligne du département du Trésor américain et leurs répercussions éventuelles sur les activités de l’entreprise9.

Les dirigeants des grandes institutions financières européennes peuvent afficher leur engagement en faveur de la conformité aux sanctions en procurant à leurs responsables de la conformité les bons outils et les ressources suffisantes pour atteindre l’objectif souhaité en matière de conformité aux sanctions.

L’évaluation des risques

L’OFAC définit l’évaluation des risques comme un examen de fond de l’entreprise visant à évaluer les points de contact avec le monde extérieur. Il s’agit d’un élément essentiel à partir duquel les entreprises européennes sont en mesure de prendre une décision en connaissance de cause. Une évaluation des risques correctement effectuée permet aux entreprises européennes de déterminer si le respect de la loi de blocage ou d’autres directives européennes aura moins de conséquences que le respect des sanctions américaines. Il est également essentiel de répertorier les différents liens commerciaux avec les États-Unis afin d’éviter toute violation des sanctions américaines. Les entreprises européennes doivent prendre soin de connaître leurs partenaires commerciaux, leurs fournisseurs et leurs clients. En outre, elles doivent savoir quels produits et services font l’objet de contrats et où se situent leurs clients. Une évaluation efficace des risques liés aux tiers permet d’atténuer les risques de violation des sanctions américaines et par conséquent la probabilité de se voir infliger des sanctions financières ou autres.

Les contrôles internes

Les contrôles internes sont des mesures nécessaires pour vérifier et adapter les activités d’une entreprise en vue de se conformer à une politique ou une directive donnée en matière de sanctions. En d’autres termes, les entreprises européennes doivent disposer de politiques et de procédures claires intégrant les obligations de conformité de l’OFAC afin de prévenir toute violation des sanctions américaines existantes. Cela signifie que la conformité aux directives de l’OFAC en matière de sanctions doit faire partie intégrante du programme de conformité aux sanctions des entreprises européennes. Chaque fois qu’une entreprise européenne doit contrôler un tiers, les contrôles en question doivent non seulement tenir compte de la liste des personnes et entités faisant l’objet de sanctions de l’UE, mais aussi de sanctions américaines.

Les tests et les audits

La mise en place de contrôles portant sur l’efficacité des politiques et procédures mises en place pour prévenir les violations des sanctions permet de démontrer l’engagement d’une entreprise à respecter les sanctions américaines. En outre, les audits périodiques permettent d’identifier les lacunes et les faiblesses des programmes de conformité. Les entreprises européennes qui s’engagent à respecter les sanctions doivent disposer de procédures claires en matière d’audits de conformité aux sanctions. La détection précoce des lacunes permet de mettre en place des mesures préventives, ce qui est le signe d’un programme de conformité aux sanctions efficace.

La formation

Les entreprises européennes doivent se tenir au courant de l’évolution des sanctions américaines. Les responsables de la conformité doivent régulièrement recevoir des formations sur la multitude d’obligations découlant des différents régimes de sanction. Ils doivent en outre avoir une parfaite compréhension de la portée de l’application des sanctions américaines aux entreprises européennes. La conformité à une directive ou une politique en matière de sanctions passe d’abord et avant tout par la compréhension de ce que cette directive ou cette politique recouvre.

Conclusion

Si les accords entre les États-Unis et l’UE peuvent évoluer, les entreprises européennes doivent toujours faire en sorte de respecter les sanctions américaines dans la mesure où ces dernières peuvent compromettre leur existence. Toute entreprise qui souhaite rester rentable doit éviter les coûts engendrés par la non-conformité. Les professionnels et responsables de la conformité doivent profiter des points mensuels de l’ACAMS sur les sanctions mondiales pour en savoir plus sur les questions liées aux sanctions de l’OFAC. 

Ibrahim YEKU, CAMS, LLB, LLM, CAMS, CCEP-I, fondateur, knowyourcustomer.ng, Nigeria, iyeku@knowyourcustomer.ng

  1. “Commission Delegated Regulation (EU) 2018/1100 of 6 June 2018, amending the Annex to Council Regulation (EC) No 2271/96 protecting against the effects of extra-territorial application of legislation adopted by a third country, and actions based thereon or resulting therefrom,” EUR-Lex, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:32018R1100
  2. “Blocking statute,” European Commission, https://ec.europa.eu/info/business-economy-euro/banking-and-finance/international-relations/blocking-statute_en
  3. “Council Regulation (EC) No 2271/96 of 22 November 1996, protecting against the effects of the extra-territorial application of legislation adopted by a third country, and actions based thereon or resulting therefrom,” EUR-Lex, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:01996R2271-20140220
  4. Ivan Timofeev, “Europe Under Fire from US Secondary Sanctions,” Russian International Affairs Council, 7 June 2019, https://russiancouncil.ru/en/analytics-and-comments/analytics/europe-under-fire-from-us-secondary-sanctions/
  5. “Civil Penalties and Enforcement Information,” U.S. Department of the Treasury, https://www.treasury.gov/resource-center/sanctions/CivPen/Pages/civpen-index2.aspx
  6. “Settlement Agreements,” U.S. Department of the Treasury, https://home.treasury.gov/policy-issues/financial-sanctions/civil-penalties-and-enforcement-information/2019-enforcement-information/additional-select-settlement-agreements
  7. “Europe Under Fire from US Secondary Sanctions,” Russian International Affairs Council, 7 June 2019, https://russiancouncil.ru/en/analytics-and-comments/analytics/europe-under-fire-from-us-secondary-sanctions/
  8. “A framework for OFAC Compliance Commitments,” U.S. Department of the Treasury, https://home.treasury.gov/system/files/126/framework_ofac_cc.pdf
  9. “Office of Foreign Assets Control——Sanctions Programs and Information,” U.S. Department of the Treasury, https://home.treasury.gov/policy-issues/office-of-foreign-assets-control-sanctions-programs-and-information

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