Cet article couvre les travaux de quatre étudiantes de la promotion 2019-2020 du diplôme universitaire de charger de conformité LAB. Un grand merci pour ce travail de qualité !
Le diplôme universitaire du chargé de conformité, spécialité lutte-anti-blanchiment (LAB), proposé par l’Université Paris-Saclay1 en collaboration avec l’ACAMS fête, en ce début 2021, sa sixième année d’existence.
Le diplôme place l’évaluation et la cartographie des risques, pierres angulaires de tout dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT), au cœur de son programme d’enseignement.
Les risques LCB/FT liés au financement participatif
L’omniprésence d’internet et l’apparition des nouvelles technologies rebattent les cartes du monde de la banque et de la finance et on assiste à l’émergence de nouveaux modes de financement. Le financement participatif (ou crowdfunding en anglais), de plus en plus plébiscité par les internautes, s’invite, à ce titre, dans le cadre de la cinquième édition du diplôme (promotion 2019-2020).
Ce mode de financement permet à des particuliers et à des entreprises de collecter des fonds au nom d’une cause ou d’un projet commun. Ces « quêtes », effectuées jadis manuellement, peuvent aujourd’hui s’opérer via une plateforme en ligne et souvent à l’aide de petites sommes, qui une fois additionnées, peuvent atteindre un montant non négligeable. Elles peuvent prendre la forme de dons, de prêts ou d’actions/obligations (c.à.d de participations dans des entreprises). « En France, le financement participatif est en développement constant depuis plusieurs années, passant de 167 millions d’euros collectés en 2015 à 629 millions d’euros en 2019 ».2
Les plateformes de crowdfunding, qu’elles soient intermédiaires en financement participatif (IFP) ou conseillers en investissements participatifs (CIP), sont assujetties au dispositif LCB/FT. L’entrée en vigueur de l’article 11 de l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, renforçant le dispositif français de LCB/FT, a rendu obligatoire l’adhésion de ces plateformes au statut d’intermédiaire en financement participatif. Elles sont donc depuis peu immatriculées auprès de l’ORIAS, organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance, et sous la tutelle du Trésor. En France, le prêt et le don sont supervisés par l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) et les activités d’actions/obligations par l’Autorité des Marchés Financiers (AMF). Les plateformes se rémunèrent en prélevant un pourcentage sur les sommes collectées (une rémunération qui peut atteindre 5 % de la somme investie).
« TAPADIBAL » : Plateforme fictive de financement participatif
L’entité baptisée « TAPADIBAL » a été imaginée par un groupe d’étudiantes de la cinquième édition du diplôme et présentée au jury composé de professionnels des secteurs privé et public. Après avoir mené plusieurs analyses afin d’identifier les risques potentiels associés à l’essor de ce nouveau mode de financement, TAPADIBAL a fait office de support à la présentation d’une cartographie des risques de blanchiment et de financement du terrorisme. Les étudiantes ont identifié les schémas potentiels d’utilisations détournées de leur plateforme de crowdfunding à des fins de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme mais surtout elles ont construit des règles pour détecter ces transactions suspectes et appliquer des mesures adaptées. La soutenance permet aux étudiants de justifier leurs décisions. Il ne s’agit ici ni plus ni moins que d’une répétition générale ou d’un entraînement à ce que tout professionnel de la conformité sera peut-être un jour amené à mettre en place dans son dispositif LCB/FT.
Nous rappelons que la cartographie des risques est une obligation réglementaire et le préalable incontournable à tout programme de conformité LCB/FT qui se respecte. Programme dont les objectifs sont de réduire les risques de blanchiment de capitaux et de financement terroriste pour l’assujetti, de minorer les sanctions éventuelles qu’il pourrait encourir en cas de non-respect de la réglementation et de transmettre des renseignements financiers sur des opérations jugées suspectes à TracFin sous la forme de déclarations.
Il ressort des rapports typologiques étudiés, notamment ceux de TracFin, que les principales vulnérabilités d’une plateforme de financement participative se regroupent autour de cinq grandes catégories d’infractions : l’escroquerie, le crime organisé, la fraude documentaire, le détournement de fonds et la fraude fiscale.
En effet, l’unique canal de distribution de ce nouveau mode de financement sur internet démultiplie les risques de blanchiment d’argent en permettant une certaine forme d’anonymisation des transactions.
Le dossier présenté par les élèves démontre avec beaucoup de justesse et de précision les différents risques inhérents à la dématérialisation d’un tel service financier. Le risque d’escroquerie via l’utilisation détournée de la plateforme sur la base de faux projets, tels le soutien associatif ou humanitaire, en vue de récolter des fonds auprès de particuliers et in fine de financer des activités illicites, en est un.
Les étudiantes choisissent donc d’identifier leur client ainsi que le bénéficiaire effectif des fonds dès le premier euro versé sur la plateforme. D’autres risques spécifiques à cette activité sont abordés et traités, tels que les dangers inhérents à l’entrée en relation à distance, le règlement eIDAS3 qui annoncent de nouvelles règles en matière de vérification de documents, les écueils relatifs aux organismes à but non lucratif4, ou les zones géographiques considérées comme particulièrement à risque. En d’autres termes, des solutions de réduction des risques sont présentées dans le respect de la législation en vigueur sans que la notion de viabilité économique de l’entreprise ne soit perdue de vue. Un travail d’équilibriste !
La carte à jouer du chargé de conformité
La LCB/FT paraît n’être de prime abord qu’une matière circonscrite aux données liées au blanchiment de capitaux, à la fraude fiscale et au financement du terrorisme. Le code monétaire et financier demande cependant instamment au chargé de conformité de recueillir la raison économique des opérations dans le cadre de ses diligences d’identification de la clientèle5. Charge à lui d’évaluer le bienfondé de l’opération et, en cas de doute, de soumettre ce doute aux autorités en charge telles que TracFin.
Ce qui paraît n’être qu’un détail, prend, dans le cadre du financement participatif, une place de tout premier ordre. Cette information anodine se retrouve au centre du jeu et l’actualité vient de nous le rappeler.
Le mercredi 6 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Paris a tranché et décidé d'annuler la cagnotte de l'ex-boxeur du pont des arts. En janvier 2019, lors des manifestations des gilets jaunes, le boxeur avait asséné des coups avec une régularité de métronome à un gendarme tombé à terre. Une cagnotte « de soutien » avait alors été constituée et plus de 100.000 euros avaient été récoltés. La cagnotte fût cependant rapidement suspendue par la plateforme concernée (Leetchi). Officiellement, car le montant atteint par la collecte avait rempli son objectif qui était de « financer les frais de justice » de l'ex-boxeur. Plus officieusement, la plateforme aurait craint une cabale médiatique et la publicité à double tranchant que celle-ci aurait été susceptible de générer.
La justice estime en ce début d’année 2021 que cette collecte a été effectuée en violation de l'ordre public6. Selon le communiqué du tribunal judiciaire de Paris7, « la cagnotte a eu, initialement, pour but de soutenir un combat consistant en l’usage de la violence physique contre les forces de l’ordre » et « par son large objet, la cagnotte comprenait également un appel à compenser les condamnations susceptibles d’intervenir à l’avenir, ce qui est contraire à l’ordre public ».
L’avocat Julien Zanatta nous rappelle qu’au cas où les fonds seraient collectés en vue du paiement d’une amende ou d’une condamnation à des dommages et intérêts, l’article 40 de la loi de 1881, introduit par l’ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000, dispose qu’il « est interdit d’ouvrir ou d’annoncer publiquement des souscriptions ayant pour objet d’indemniser des amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires, en matière criminelle et correctionnelle, sous peine de six mois d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende, ou de l’une de ces deux peines seulement »8.
La question de l’objet/la raison économique de la collecte par la plateforme est bien revenue sur le tapis. Le recueil de cet élément par le chargé de conformité et la juste évaluation de cet élément par ce dernier apparaissent fondamentaux.
Ceci nous ramène à la société fantôme « TAPADIBAL ». Le recueil de la raison économique de l’opération s’opère au stade du connaissez votre client (KYC, pour Know Know Your Customer) initial. La société a également recours à un prestataire de services extérieur chargé de filtrer les clients à l’aune d’une liste de personnes faisant l’objet d’une publicité négative. Si « TAPADIBAL » avait été en charge de la cagnotte sulfureuse, le nom du boxeur serait apparu à l’aune de ce filtrage et le chargé de conformité en charge de l’analyse de l’alerte aurait refusé l’opération.
Les nouvelles technologies rebattent les cartes du jeu démocratique et le chargé de conformité a sa carte à jouer là où on ne l’attend pas. Non seulement au sein de son entreprise mais plus largement au sein de la société. La finance dite « altruiste » utilise les formes numériques de collecte de dons dans le but de financer un projet ayant une dimension d’intérêt général9. Julien Zanatta va jusqu’à évoquer un véritable « crowdfunding judiciaire » ou l’émergence d’un monde dans lequel « le financement participatif permettra, à l’évidence, de financer demain des contentieux qui ne peuvent exister aujourd’hui faute de fonds ».
Le chargé de conformité LAB/FT se retrouve avec une nouvelle corde à son arc et voit le judiciaire s’infiltrer dans le processus d’identification de sa clientèle.
Dan BENISTY, président du Chapitre France d’ACAMS et co-directeur du Diplôme Universitaire du chargé de conformité LAB de l’université Paris Saclay, dan_benisty@hotmail.com
Nathalie BOSSE, membre du board du Chapitre France d’ACAMS, nathalie.bosse@mailo.com
- « DU Compliance Officer, spécialité lutte-anti-blanchiment », Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, https://www.uvsq.fr/du-compliance-officer-specialite-lutte-anti-blanchiment
- « Crowdfunding : tout savoir avant de se lancer ! », Minisère de L’Économie des Finances et de la Relance , 17 Novembre 2020, fhttps://www.economie.gouv.fr/entreprises/crowdfunding-financement-participati
- Règlement de l'Union Européenne sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein de l'Union Européenne
- Le rapport de TracFin : Tendances et analyse des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme (BC-FT) en 2019-2020, explique que les organismes relativement récents, postérieurs aux débuts de la guerre civile en Syrie (soit 2011) présentent un risque lié au financement du terrorisme très élevé.
- L’article L561-5-1 CMF de recueillir les informations relatives à l'objet et à la nature de la relation et tout autre élément d'information pertinent.
- Un choix motivé par l'article 1162 du code civil
- « Jugement civil à propos d'une cagnotte Leetchi » Tribunal Judiciaire de Paris, 30 Mars 2020, https://www.tribunal-de-paris.justice.fr/75/communiques-de-presse
- Julien Zanatta, « Financement participatif de la défense d’un “Gilet jaune” : les euros de la colère », Dalloz Actualité, 24 Janvier 2019, https://www.dalloz-actualite.fr/node/financement-participatif-de-defense-d-un-gilet-jaune-euros-de-colere#.YAC43OhKiUk
- Virginie Monvoisin, Amélie Artis, « Notre-Dame, “gilets jaunes”…Les limites démocratiques des cagnottes en ligne », The Conversation, 18 Juin 2019, https://theconversation.com/notre-dame-gilets-jaunes-les-limites-democratiques-des-cagnottes-en-ligne-118789