Du Bénéficiaire Effectif Final

La quatrième directive anti-blanchiment de l’Union Européenne est entrée en vigueur en 2015 et devait être transposée dans tous les États de l’Union Européenne à la date du 26 juin 2017. Cependant, certains pays n’ont pu respecter cette date butoir, ne disposant pas de l’arsenal législatif approprié (ainsi en fût-il de l’Autriche, où ladite structure était attendue pour le mois de janvier 2018).

Tout comme l’Autriche, seize pays ont manqué l’échéance : les Pays-Bas, le Portugal, la Roumanie, la Slovaquie, la Lettonie, Malte, la Bulgarie, Chypre, la Croatie, la Pologne, l’Irlande, la Lituanie, la Grèce, l’Estonie, la Finlande et le Luxembourg. Alors que certains pays membres accusent du retard dans le processus de transposition et sont toujours en cours de consultations publiques, d’autres ont transposé la directive après coup (le Portugal, la Lettonie, la Lituanie, la Croatie ou le Luxembourg). D’autres enfin, semblent tentés d’attendre les amendements apportés à la 4ème directive, souvent nommés « 5ème directive », actuellement en cours de négociations.

Cet article expose l’avancée de la transposition de la 4ème directive et de la mise en place du registre des bénéficiaires effectifs finaux à travers les 27 pays membres de l’Union Européenne à la date d’octobre 2017.

Le Bénéficiaire Effectif ou l’Appel à Plus de Transparence

Le bénéficiaire effectif a été l’un des thèmes majeurs de la 4ème directive avec l’évaluation du risque et les personnes politiquement exposées. L’article 30 de la 4ème directive de l’Union Européenne exige de tous les États membres de l’Union qu’ils transposent dans leur loi nationale les clauses relatives aux informations concernant les bénéficiaires effectifs pour les entités juridiques et les sociétés. Ceci permettra d’identifier les personnes physiques, véritables propriétaires ou détenant le contrôle d’une société.

L’adéquation de la législation des pays de l’UE aux principes de transparence en matière de bénéficiaires effectifs est jugée globalement satisfaisante et dans certains cas tout à fait satisfaisante si on la compare à d’autres pays hors UE. Cependant, certains pays, dont les Pays-Bas, l’Allemagne et le Luxembourg, font état de résultats mitigés .1

Définitions de « Bénéficiaire Effectif »

Le Groupe d’Action Financière et la 4ème directive européenne définissent le bénéficiaire effectif comme « la ou les personnes physiques qui, en dernier ressort, possèdent ou contrôlent le client et/ou la ou les personnes physiques pour lesquelles une transaction est exécutée, ou une activité réalisée. Cela comprend également les personnes qui exercent un contrôle effectif final sur une personne morale ou une construction juridique ».

Dans le cadre d’une société, cela intègre :

  • Toute personne physique qui possède ou contrôle la société via la détention directe ou indirecte de plus de 25 pourcentage d’actions, de droits de vote ou de participation au capital, ou par le biais de tout « contrôle exercé par d’autres moyens ».
  • Si personne n’est identifié (après avoir recouru à toutes les options possibles et en l’absence de doute) ou s’il y a un doute quant au bénéficiaire effectif réel, la personne physique détenant la position de dirigeant principal doit alors être prise en compte.

Les exigences relatives au bénéficiaire effectif, telles qu’exposées dans la 4ème directive sont les suivantes :

  • Les sociétés et autres entités juridiques doivent obtenir et détenir des informations adéquates, exactes et actuelles sur leurs bénéficiaires effectifs, y compris leur nom, date de naissance, lieu de résidence ainsi que la nature et l’importance de leur participation.
  • Les informations sur le bénéficiaire effectif seront conservées sur des registres centralisés dans le pays concerné et doivent être adéquates, exactes et à jour.
  • Les informations sur les registres centralisés seront accessibles aux autorités compétentes, aux Cellules de Renseignement Financier, aux entités assujetties, dans le cadre de la vigilance à l’égard de la clientèle et à toute personne pouvant démontrer un « intérêt légitime ».

Les exigences de l’UE ont été ou sont en train d’être transposées en lois nationales et la façon de les transposer varie considérablement d’un pays membre à l’autre. Les variations portent généralement sur :

  • Le type d’entités prises en compte dans le registre.
  • L’inclusion ou l’exclusion des trusts.
  • Certains registres sont d’accès public et gratuits et d’autres sont payants.
  • Certains registres ne sont accessibles qu’aux personnes faisant preuve d’un intérêt légitime.

Obtenir une vue d’ensemble des différences dans la mise en place de ces obligations est, en soi, un véritable défi.

Les mécanismes de vérification et de sanctions varient également considérablement. Certains « pays prévoient des mécanismes dans leur nouvelle législation pour assurer que les informations contenues dans les registres de bénéficiaires effectifs soient vérifiées »2 . D’autres pays « ne prévoient aucune sanction pour les entreprises ou pour le bénéficiaire effectif lorsqu’ils ne déclarent pas d’informations exactes aux registres centralisés » .3

Le tableau qui suit expose l’état d’avancement de la transposition de la 4ème directive de l’UE et du registre centralisé. Certains pays n’ont pas annoncé de date butoir claire pour cette mise en place et certains ministres en charge n’ont pas répondu aux questions posées dans le cadre de la rédaction de cet article. Vous pourrez consulter la version en ligne de cet article pour toute mise à jour ultérieure.

Le Juste Équilibre Entre la Transparence et la Protection des Données Personnelles

L’un des plus gros obstacles rencontré sur le chemin de la transparence concerne la protection des données personnelles. Il s’agit d’un facteur important pour ne pas dire plus dans le cadre de la mise en place actuelle du Règlement Général des Données Personnelles. « Les droits fondamentaux en matière de législation relative aux données et à la protection des données dans l’Union Européenne autorisent l’accès du public à l’information lorsqu’elle est légitime, nécessaire et proportionnée ».

Par conséquent, les filets de sécurité nécessaires, y compris les politiques et procédures adéquates, doivent être en place pour assurer que les informations relatives au bénéficiaire effectif, concernant les sociétés et les trusts et d’accès public, soient en conformité avec la législation en matière de protection des données et de droits à la vie privée.

La Lutte Contre L’Évasion Fiscale

« L’Union Européenne a fait des progrès considérables ces dernières années pour améliorer la transparence en matière de fiscalité et pour renforcer la coopération entre les autorités fiscales des différents États membres. Les récentes modifications apportées à la législation LAB reconnaissent les liens entre le blanchiment de capitaux et l’évasion fiscale, ainsi que les défis pour les prévenir4 ». Une version révisée de la Directive du Conseil (2011/16/CE) sur la coopération administrative dans le domaine de la taxation est entrée en vigueur en 2016. La directive modifiée (2014/107/EU) harmonise les règles de l’Union Européenne avec la norme globale pour l’échange automatique d’informations sur les comptes financiers en matière fiscale, développée par l’OCDE et harmonise l’échange automatique complet des informations avec le FATCA (US Foreign Account Tax Compliance Act).

Ces registres seront accessibles aux autorités fiscales qui bénéficient d’une autorisation d’accès dans le cadre de l’échange automatique de données obligatoire entré en vigueur le 1er janvier 2018. Même si pour des raisons de confidentialité, certains pays membres de l’UE ont décidé de ne pas rendre public les données relatives à la détention de trusts, et ont opté pour la création de registres séparés à accès restreint. Cette directive exigera des États membres qu’ils fournissent un accès aux informations sur les bénéficiaires effectifs des sociétés et autorisera les autorités fiscales à accéder aux informations en surveillant l’application de leurs propres règles d’échange automatique de données.

Pays Transposition de la 4ème directive Nom du registre des bénéficiaires effectifs Date de transposition Accès aux données
1 Allemagne Juin 2017 Transparenz Register Décembre 2017 Accès accordé si la demande est jugée légitime
2 Autriche Juin 2017 Wirtschaftliche Eigentümer Register Mai 2018 Accès accordé si la demande est jugée légitime
3 Belgique Juillet 2017 Registre des bénéficiaires effectifs (Registre du Commerce et des Sociétés) À confirmer À confirmer
4 Bulgarie T1 2018 Sera inclus dans le registre du commerce bulgare A confirmer A confirmer
5 Chypre Décembre 2018 A confirmer A confirmer A confirmer
6 Croatie Octobre 2017 A confirmer Avril 2018 Accès accordé si la demande est jugée légitime
7 Danemark Reelle Ejere (inclus dans le Danish Business Registry (CVR) Décembre 2017 Public
8 Espagne Juin 2017 Beneficial Ownership Database Mars 2012 Accès accordé si la demande est jugée légitime
9 Estonie A confirmer A confirmer Septembre 2018 A confirmer
10 Finlande Juillet 2018 Inclus dans le registre commercial finlandais Juillet 2019 Public
11 France Décembre 2016 Registre des bénéficiaires effectifs Avril 2017 Accès accordé si la demande est jugée légitime
12 Grèce A confirmer A confirmer A confirmer A confirmer
13 Hongrie Juin 2017 A confirmer A confirmer Accès accordé si la demande est jugée légitime
14 Irlande T1 2018 Registre des bénéficiaires effectifs (RBO) A confirmer A confirmer
15 Italie Juin 2017 Inclus dans le registre commercial italien Décembre 2018 Accès accordé si la demande est jugée légitime
16 Lettonie octobre 2017 Inclus dans le « Latvijas Republikas Uz mumu re istrs » Avril 2018 Public
17 Lituanie Juillet 2017 Sera inclus dans le Registru Centras Juillet 2019 Public
18 Luxembourg Avril 2017 A confirmer Peut-être 2018 A confirmer
19 Malte A confirmer A confirmer, en cours de discussion à la chambre des représentants A confirmer A confirmer
20 Pays-bas Déc. 2018 Registre des bénéficiaires effectifs Eté 2018 Public
21 Pologne A confirmer A confirmer A confirmer Public
22 Portugal Août 2017 A confirmer A confirmer A confirmer
23 République Tchèque A confirmer A confirmer A confirmer Accès accordé si la demande est jugée légitime
24 Roumanie A confirmer (dans les mois qui viennent) A confirmer A confirmer A confirmer
25 Royaume-Uni Juin 2017 Person with Significant Control (PSC) Juin 2017 Public
26 Slovaquie A confirmer Register partnerov verenjného sektora (registre des partenaires du secteur public) Février 2017 Public
27 Slovénie Novembre 2016 A confirmer Janvier 2018 Public
28 Suède Juin 2017 Verklig huvudman Septembre 2017 Accès réservé aux ressortissants suédois

Conclusion

À la suite du scandale des « paradise papers» début novembre 2017 et un an après les « Panama papers », les pays sont soumis à une pression encore plus forte pour améliorer la transparence sur les structures de détention et ceci afin de prévenir l’évasion fiscale et les autres formes de crime financier et améliorer le cadre entourant notre système financier ainsi que son intégrité. Il est par conséquent primordial que les organisations aillent au-delà de la simple identification du bénéficiaire effectif, qui, lorsqu’il est en lien avec des paradis fiscaux, n’est souvent qu’un simple homme de paille lié à un agent d’incorporation ou à un conseiller fiscal.

Les registres de bénéficiaires effectifs seront d’utilité à cet égard mais dans de nombreuses situations à haut risque (particulièrement dans les juridictions dont les obligations en matière de transparence et d’échange de données sont limitées) mais ne seront pas suffisants pour identifier les bénéficiaires effectifs et remplir les exigences de conformité et réglementaires nécessaires pour protéger la réputation d’une organisation.

Jennifer Hanley-Giersch, CAMS, managing partner, Berlin Risk Ltd., Berlin, Germany, jennifer.hanley@berlinrisk.com

  1. Jennifer Hanley Giersch, “Europe’s Upcoming Fourth AML/CTF Directive,” ACAMS Today, December 2014-February 2015, http://www.acamstoday.org/europes-upcoming-fourth-aml-cft-directive/
  2. “Beneficial Ownership Register,” 2017, https://www.cro.ie/Registration/Company/Incidental-Obligations/Beneficial-Ownership-Register/mid/1612/dnnprintmode/true?SkinSrc=%5BG%5DSkins%2F_default%2FNo+Skin&ContainerSrc=%5BG%5DContainers%2F_default%2FNo+Container
  3. “Under the Shell: Ending Money Laundering in Europe,” Transparency International EU, 2017 https://transparency.eu/wp-content/uploads/2017/04/EBOT-REPORT-TIE-014-16_clean.pdf
  4. Ibid.
  5. Ibid.
  6. Ibid.
  7. “Taxation Council Adopts Directive on Access to Beneficial Ownership Information,” European Council, June 12, 2016, http://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2016/12/06-beneficial-ownership-information/
  8. Ibid.

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