Personnes Politiquement Exposées et corruption locale

Local Corruption

La question des Personnes Politiquement Exposées (les fameuses PPE) est récurrente dans le petit monde de la conformité. Ne nous voilons pas la face : au milieu des tâches toujours plus nombreuses pesant sur les épaules du chargé de conformité, l’arrivée d’un dossier « PPE » est souvent annonciatrice de problèmes supplémentaires....

D’abord, il est très difficile de se fier à une liste de PPE exhaustive, exacte et officielle. Les régulateurs français semblent réticents à l’idée de publier une telle nomenclature, même s’ils se disent prêts à accepter les bases de données proposées par les divers prestataires de services d’informations externes de la place.

Factuellement, la PPE pose problème. Elle est supposée être vulnérable à la corruption ou tout au moins plus vulnérable que la plupart des non-PPE. Suite à son identification, les parties déclarantes1 doivent donc mener leur enquête et passer au crible ses biens, ses actifs et plus généralement son patrimoine, à l’écoute de toute trace éventuelle de corruption. Si l’on s’en tient à la loi, toute activité suspecte la concernant doit être remontée aux autorités nationales compétentes.

Généalogie du concept « PPE »

Le concept « PPE » remonte à l’affaire dite « Abacha »2.

À la fin des années 90, le dictateur nigérien Sani Abacha détourne des fonds publics à son profit. Des membres de sa famille, ainsi que de proches associés, sont parties prenantes du détournement de ces fonds constitués, entre autres, d’aides au développement. La somme totale interceptée atteindrait des milliards de dollars, conservés sur des comptes en banque hébergés au Royaume-Uni et en Suisse.

Peu après, le gouvernement nigérien post Abacha lance une procédure judiciaire internationale afin de recouvrir les fonds auprès de plusieurs pays européens, la Suisse y compris.

Le concept de la « PPE » émerge dans le cadre de la procédure engagée par la Suisse auprès de dizaines d’institutions financières.

Le concept finit de prendre corps à l’occasion de la convention des Nations-Unies contre la corruption3, en 2003. La question de l’exposition à la corruption des hauts fonctionnaires est soulevée et l’accent est mis sur l’attention qui devrait être portée à ces individus plus susceptibles d’être corrompus que d’autres clients lambda. Toutes les caractéristiques qui donneront lieu postérieurement à la définition de la PPE seront fixées à cette occasion et intégrées dans les recommandations du Groupe d’Action Financière (GAFI) puis dans les directives européennes qui leur succéderont.

Le GAFI et les directives de l’Union Européenne prennent le relais

La thématique des PPE fait son entrée dans les recommandations du GAFI en 2003. « Une personne politiquement exposée (PPE) est une personne qui exerce ou a exercé d’importantes fonctions publiques dans un pays étranger; par exemple, de Chef d’État ou de gouvernement, de politiciens de haut rang, de hauts responsables au sein des pouvoirs publics, de magistrats ou militaires de haut rang, de dirigeants d’une entreprise publique ou de responsables de parti politique. Les relations d’affaires avec les membres de la famille d’une PPE ou les personnes qui lui sont étroitement associées présentent, sur le plan de la réputation, des risques similaires à ceux liés aux PPE elles-mêmes. Cette expression ne couvre pas les personnes de rang moyen ou inférieur relevant des catégories mentionnées ci-dessus.4»

Pour ce qui est des orientations à suivre, le GAFI est clair:

« Les institutions financières devraient, s'agissant de personnes politiquement exposées, mettre en œuvre les mesures de vigilance normales, et en outre : a) Disposer de systèmes de gestion des risques adéquats afin de déterminer si le client est une personne politiquement exposée, b) Obtenir l'autorisation de la haute direction avant de nouer une relation d'affaires avec de tels clients, c) Prendre toutes mesures raisonnables pour identifier l’origine du patrimoine et l’origine des fonds et d) Assurer une surveillance renforcée et continue de la relation d'affaires5

En 2005, la troisième directive de l’Union Européenne6 fait écho aux recommandations du GAFI d’octobre 2003. Elle définit le concept et émet des lignes directrices. La quatrième directive de l’Union Européenne7, quant à elle, complète la précédente et ajoute les PPE nationales au lot de PPE déjà ciblées.

Plus de travail pour le chargé de conformité

Retour accéléré jusqu’à aujourd’hui. Les PPE ont généré un supplément de travail et de soucis pour les chargés de conformité. Une fois une PPE identifiée, une approche par les risques doit être mise en place. Les professionnels de la conformité identifient la PPE, évaluent les risques qui lui sont associés, analysent le secteur dans lequel elle évolue, son recours éventuel à des prestataires de services aux entreprises et aux fiducies ou la présence de représentants d’actionnaires, pour ne citer que quelques contrôles en jeu8. Des processus de due diligence spécifiques sont exigés pour évaluer le risque et pour collecter les informations sur l’origine des fonds, l’objectif de l’opération et les relations aux contreparties. L’idée est d’obtenir une vue d’ensemble de l’individu.

Toutes les PPE ne font certes pas l’objet de la même attention. Certaines exigent plus de dévouement que d’autres. Mais au final, toutes nécessitent un traitement spécial.

Au bas mot, la corruption est une nuisance

La corruption sévit de toute part et personne ne semble en être exonéré. À en croire Transparency International, la France détenait le 23ème rang sur 176 en matière de corruption en 20169. Pour accorder un indice de corruption à un pays, Transparency prend en compte certains critères, tels que la transparence du gouvernement, la liberté de la presse, les libertés civiques et la présence ou l’absence de systèmes judiciaires indépendants. Pour ce qui est de ces critères, en 2016, la Nouvelle-Zélande et les pays scandinaves sont sortis gagnants. En France, la corruption est perçu comme un problème dans le domaine des achats publics et chaque fois que les affaires et la politique s’entremêlent. Le code pénal français prévoit des sanctions en cas de corruption active et passive.

Utilité de la politique « PPE » pour mettre à jour des faits de corruption locale

En ce qui concerne le secteur public français, la politique « PPE » peut très certainement aider à mettre à jour des faits de corruption. Les assujettis sont en effet dans l’obligation de surveiller constamment les comptes de ces individus bien particuliers et de déclarer toute activité suspecte les concernant à leurs autorités compétentes10. La due diligence effectuée dans ce cadre restera toutefois partielle et se focalisera exclusivement sur le compte hébergé par l’institution financière qui est à l’origine de la due diligence.

Nous ne sommes pas sans ignorer en effet que les PPE corrompues structurent très souvent leurs biens mal acquis et les dissimulent dans des juridictions extraterritoriales qui rechignent à dévoiler les informations financières qu’elles détiennent. Ainsi, si un compte PPE est détenu dans une juridiction extraterritoriale ou dans une autre institution financière, les informations qu’il recèle resteront hors de la portée d’une enquête de routine.

De plus, de nombreux fonctionnaires non-PPE, peuvent très bien accorder des contrats s’ils disposent des pouvoirs ou des autorisations adéquates. Alors qu’ils sont tout aussi susceptibles de faire l’objet de corruption, les comptes de ces fonctionnaires ne bénéficient cependant pas du même niveau de surveillance que celui exercé sur les comptes des PPE. En d’autres termes, tout pot de vin reçu par ces fonctionnaires non-PPE aura moins de chance d’être détecté car ils ne bénéficient pas du traitement de vigilance renforcée habituellement réservé aux PPE.

Pour terminer, la politique dite « PPE » n’a pas d’incidence sur le secteur privé français (excepté en cas de partenariats publics/privés). Un rapport de 2015 avance que 25 % des décisionnaires en matière d’achats, répondant à un sondage, et issus du secteur privé français, se sont vus occasionnellement proposer des pots de vin (principalement par des entreprises françaises)11. 74 % des acheteurs de l’étude avaient apparemment signé une charte d’entreprise anticorruption. Mais, en général, ces chartes ne sont pas contraignantes….

Une nouvelle loi anticorruption destinée à colmater les brèches?

La politique « PPE » est totalement intégrée dans les procédures KYC aujourd’hui en France. La procédure prévoit la pratique d’une due diligence approfondie et l’obligation réglementaire de déclarer toute activité suspecte à la Cellule de Renseignement Financier locale. Les institutions financières doivent mettre fin à toute relation d’affaires avec une PPE suspecte.

Cette politique PPE couvre donc une partie du risque de corruption en France, mais pas l’intégralité du risque : les professionnels du secteur privé et les fonctionnaires non-PPE ne sont pas couverts par la politique telle qu’elle se présente actuellement.

La nouvelle loi anticorruption française12 et les recommandations13 de l’Agence Française Anticorruption sont susceptibles de colmater la brèche car elles exigent des entreprises privées et publiques qu’elles développent une cartographie des risques pour réduire les risques de corruption qu’elles identifient.

Dans le cadre de cette nouvelle loi, les employés considérés comme à risque élevé (pour ce qui est de la corruption) et dûment identifiés en tant que tels par leurs départements du risque, pourraient être surveillés.

Néanmoins, si les pots de vin stationnent sur les comptes privés de ces individus dans d’autres institutions financières ou dans des juridictions extraterritoriales, autrement nommées paradis fiscaux, leurs comptes resteront hors de la portée des chargés de conformité une fois encore.

Au final, si nous prenons en compte la genèse de l’ensemble du processus, en repartant de l’affaire Abacha, nous pouvons interroger la pertinence de ce processus pour l’ensemble des pays et ce qui peut s’avérer utile et efficace dans un environnement politique et économique africain, avec des responsables politiques décidant de l’octroi des marchés publics, peut s’avérer moins efficace dans d’autres circonstances, lorsque les décisions en matière d’achats ne reposent pas entre les mains des leaders politiques mais entre celles de leurs subordonnés, donc a priori non-PPE.

La lutte contre la corruption a un long chemin à parcourir. La politique en matière de PPE va probablement gagner en poids dans le futur, surtout, grâce à un nombre croissant de fuites d’informations en provenance des juridictions extraterritoriales et à un partage d’informations plus important entre les institutions financières. Les fuites à venir vont surement alimenter la politique PPE actuelle, mais tous les cas de corruption locale ne peuvent être déterrés par le biais de la politique PPE, telle qu’elle existe à ce jour.

Les gouvernements peuvent avoir besoin d’auditer leur infrastructure anticorruption en l’état et colmater les brèches laissées par la politique PPE afin d’assurer une véritable lutte en matière de corruption.

Nathalie Bosse, CAMS, communications director, ACAMS France Chapter, Paris, France, nbosse@acams.org

Dan Benisty, co-chair, ACAMS France Chapter, Paris, France, dan_benisty@hotmail.com

  1. Les déclarants sont les pays membres du GAFI, tels que la France.
  2. http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i1423.asp
  3. https://www.unodc.org/documents/brussels/UN_Convention_Against_Corruption.pdf (en anglais)
  4. http://www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/recommendations/pdfs/FATF%20Recommendations%202003.pdf
  5. http://www.fatf-gafi.org/media/fatf/documents/recommendations/pdfs/FATF_Recommendations.pdf
  6. Directive 2005/60/EC of the European Parliament and of the Council on the Prevention of the Use of the Financial System
    for the Purpose of Money Laundering and Terrorist Financing. Official Journal of the European Union, October 26, 2005,
    http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:32005L0060&from=FR (3rd Directive). (en anglais mais également disponible en français)
  7. Directive 2015/849/EC of the European Parliament and of the Council on the Prevention of the Use of the Financial System
    for the Purpose of Money Laundering and Terrorist Financing. Retrieved on January 6th, 2018 on http://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CELEX:32015L0849&from=FR (4th Directive). (in English)
  8. The Puppet Masters, How the Corrupt Use Legal Structures to Hide Stolen Assets and What to Do About It. World Bank and UNODC, retrieved on January 6th, 2018 on https://star.worldbank.org/star/sites/star/files/puppetmastersv1.pdf. (en anglais)
  9. Transparency International, corruption perception index, retrieved on January 6th, 2018 on https://www.transparency.org/country/FRA
  10. La Cellule de Renseignement Financier pour la France est TracFin.
  11. AgileBuyer / HEC Groupement Achats, Priorities of procurement departments in 2015 and the way suppliers will be dealt with in 2015, retrieved on January 6th, 2018 from http://www.agilebuyer.com/memo/presse/Enquete_AgileBuyer-HEC_Tendance_2015_150104_web.pdf (in French)
  12. LOI n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (en français).
  13. “Recommandations destinées à aider les personnes morales,” AFA, 2017,
    https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/afa/2017_-_Recommandations_AFA.pdf (en français).

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