Dan Benisty : la compliance comme une ambition personnelle

Dan Benisty est responsable conformité lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT) pour l’Europe du Nord auprès de l’entreprise de transfert d’argent, Western Union. Depuis 2013, il est co-fondateur et président du Chapitre France de l’ACAMS ainsi que co-directeur du diplôme universitaire du chargé de conformité LBC/FT, proposé par l’Université Paris-Saclay1. Interviewé par plusieurs journaux nationaux, il répond aujourd’hui aux questions d’ACAMS Today Europe sur sa perception de la compliance.

ACAMS Today Europe : Vous avez un master en finance internationale, qu’est-ce qui vous a poussé à faire carrière dans le domaine de la compliance plutôt que dans la finance ?

Dan Benisty : Par mes études en école de commerce, j’étais plutôt versé en mathématiques financières. Mon cursus ne comportait aucune matière dédiée à la conformité ; pour la bonne raison qu’elles n’existaient pas en tant que telles à l’époque. J’ai donc tout naturellement opté pour la salle des marchés d’une banque française en dernière année d’étude. J’ai passé les premiers temps à cartographier les risques, c’est-à-dire : répertorier les métiers, les systèmes d’informations, évaluer leur risque, estimer les pertes et établir un plan de continuité d’activité. Ce travail d’audit est un préalable à toute bonne activité de compliance qui se respecte. A bien y réfléchir, lorsque la compliance a enfin fait son apparition, j’ai trouvé un moyen de concilier mes valeurs intrinsèques et mes activités professionnelles. Je pense que c’est plutôt la compliance qui est venue à moi, en venant titiller mes valeurs personnelles.

AT Europe : En tant que responsable de la compliance chez Western Union, quelles améliorations avez-vous pu constater à la suite de la mise en place d’un programme de conformité LAB/LFT ?

DB : Western Union a été novatrice en ce sens qu’elle a créé un département « risque » dédié à la lutte anti-blanchiment et le financement du terrorisme (LAB/FT). En règle générale, au sein des institutions financières, le département risques couvre l’ensemble des risques. Ce département risque dédié est en charge d’une évaluation des menaces intrinsèques ; exogènes et endogènes et ceci aux niveaux mondial, régional, par pays et inter-pays (qui consiste à analyser les liens potentiels entre plusieurs pays). Ce travail de précision fait que les risques, les mécanismes de LAB/FT et les fraudes ont peut être appréhendés de façon beaucoup plus fine et le profil client et les risques qu’il peut présenter, cernés avec d’autant plus d’acuité. Cette analyse de risque débouche sur un document recensant les mesures à mettre en place afin de réduire au maximum les risques qui auront été détectés. Les règles, les curseurs et, par extension, les filtrages informatiques sont ainsi plus finement paramétrés. Il est également possible de repérer si un risque ou une menace ont fait leur apparition, se sont aggravés et s’il est nécessaire, par conséquent, de modifier une règle de filtrage existante. Si une source d’information, publique ou privée, nous informe d’une nouvelle donne, d’un nouveau risque, il devient possible de traduire cette menace par une règle de filtrage permettant de le réduire et ceci, assez rapidement.

AT Europe : Quelle est, pour vous, l’équipe de compliance idéale ?

DB : J’aborde cette question dans le cours que je donne dans le cadre du diplôme universitaire. En fait, le candidat idéal n’existe pas ! En ce qui me concerne, j’ai choisi une équipe dotée de profils très complémentaires. La conformité est, par nature, à la croisée de champs aussi hétéroclites que le droit, le business l’investigation ou la communication. Une connaissance pointue du droit et notamment une certaine aisance lorsqu’il s’agit de trouver, de lire ou d’interpréter un texte est un atout indéniable. Une bonne connaissance du monde des affaires sera également précieuse ; je pense par exemple aux collaborateurs ayant travaillé en business support qui connaissent tant le produit que la mécanique des systèmes d’information ou des chaînes de distribution. Ensuite, certaines qualités sont plus que bienvenues. La capacité à pouvoir communiquer avec de nombreux intervenants de tous niveaux en est une. Pouvoir s’adresser efficacement aussi bien à la direction qu’à des agents qui n’auront pas la même aisance est une nécessité. C’est ce que j’appelle faire un « grand écart communicationnel ». Il faudra savoir vulgariser une matière qui peut être assez complexe tout en gardant une vue d’ensemble, synthétique. Au fil des jours, il y aura des présentations à des comités et des formations en interne aussi bien qu’en externe. Il faudra convaincre, évaluer les risques d’une stratégie commerciale, et parfois influencer cette stratégie. Il est important d’être en mesure de défendre ses arguments et de convaincre de leur bien fondé, un peu comme le ferait un avocat. La compliance est avide de charisme car elle s’inscrit aujourd’hui plus que jamais au cœur de l’entreprise et de sa stratégie.

AT Europe : Comment un programme de conformité robuste peut-il profiter aux institutions financières ?

DB : La compliance peut se révéler un formidable atout face à la concurrence. Aujourd’hui, l’image et la réputation d’un excellent programme LAB/FT permet de gagner des points lorsqu’il s’agit de remporter un appel d’offres ou un partenariat. Demain, tout partenaire voulant s’associer avec Western Union, par exemple, vérifiera sa réputation. Ce prétendant au partenariat passera notre programme de conformité au crible. Plus ce programme sera robuste, plus il accompagnera nos objectifs stratégiques, plus nous saurons mettre ses atouts en lumière et plus nous gagnerons de points par rapport à la concurrence.

Réduire la conformité au seul coût qu’il engendre est donc contre-productif. Je pense qu’il faut savoir trouver un juste milieu et savoir investir avec ingéniosité. Nous disposons aujourd’hui de systèmes de surveillance très perfectionnés et automatisés. Hier encore, certains de ces filtrages s’effectuaient manuellement. Et ceci sans parler de l’avènement de l’intelligence artificielle dans le domaine de la compliance. Il faut des systèmes intelligents qui traitent des milliards de données. Bien utilisée, l’intelligence artificielle permet d’affiner les scénarios de surveillance et de baisser d’autant le coût de la compliance.

AT Europe : Quelles stratégies avez-vous adopté pour détecter et prévenir les activités criminelles que sont le trafic d’êtres humains et le trafic d’animaux sauvages ?

DB : Western Union est aux avant-postes au niveau mondial en matière de lutte contre le trafic d’êtres humains. Les employés et les agents sont formés à la détection et au signalement de tout soupçon en la matière. Cette formation est encore renforcée pour les agents opérant dans des zones considérées comme présentant un risque plus élevé. Western Union a également participé et organisé des conférences dans le monde entier pour échanger des informations avec les autorités et diverses organisations non gouvernementales préoccupées par ce fléau. Parmi les autres initiatives, je citerai sa participation à la mise en place d’une plateforme internationale accessible aux organisations non gouvernementales, aux autorités et aux institutions financières. Ainsi que sa collaboration au groupe de travail sur le trafic d’êtres humains du Joint Money Laundering Intelligence Taskforce. Ce groupe de travail réunit des institutions financières, des agences gouvernementales ainsi que le ministère de l’intérieur britannique (Home Office), toujours dans l’idée de favoriser l’échange d’informations. Sans oublier les partenariats avec l’U.S. Department of Homeland Security, Interpol ou Thomson Reuters.

AT Europe : Quels sont les défis de demain pour le secteur des entreprises de services monétaires dans l’espace européen ?

DB : Certains nouveaux acteurs ont des coûts de fonctionnement et de production très faibles puisqu’ils n’opèrent que sur internet. Nous assistons également à l’émergence de nouveaux acteurs digitaux dont le cœur de métier n’est ni le transfert d’argent ni la monnaie électronique mais qui veulent entrer sur ce secteur—je pense notamment aux Google, Apple, Facebook, Amazon. Ces nouveaux protagonistes incarnent les défis de demain. Notamment pour Western Union dont les coûts de fonctionnement sont plus élevés, par ses réseaux d’agents. Il convient d’évoquer également l’apparition de nouvelles modalités de collecte de fonds comme le financement participatif, très révolutionnaires et qui viennent induire de nouvelles typologies en matière de LAB/FT. Ces nouveaux acteurs viennent titiller nos méninges sur des schémas potentiellement suspicieux nouveaux mais aussi transverses. Nous connaissions en effet les anciennes typologies mais ces nouveaux risques, au carrefour de plusieurs activités, pouvant associer le transfert d’argent à la monnaie électronique en passant par les crypto-monnaies, sont de véritables rébus.

Je pense que les filets de prévention mis en place, dans le cadre de la LAB/FT, ont réduit la finance souterraine de manière non négligeable. Elle échappe toujours au système mais moins qu’avant. Il y a 30 ou 40 ans, la finance était encore relativement mono-produit et très localisée. Aujourd’hui, nous avons affaire à une véritable pieuvre. S’il était hier encore relativement facile pour un État de suivre facilement les infractions, c’est devenu aujourd’hui chose plus difficile. Il n’est donc pas étonnant que l’État ait songé à déléguer une partie de cette surveillance. Tous les métiers qui ont été rattachés à la LAB/FT, les fameux assujettis, sont devenus des bras armés de l’État. Je rappelle que ces assujettis ne sont pas uniquement des acteurs issus de la finance mais concernent également les notaires, les avocats, les commissaires-priseurs, les agents immobiliers et bien d’autres. D’ailleurs, pour paraphraser Joseph Stiglitz, certaines entreprises sont devenues plus puissantes que certains États. Cela explique que l’État leur ait délégué un pouvoir et un devoir de surveillance.

AT Europe : Comment votre département s’est-il adapté à la pandémie ?

DB : Comme toutes les entreprises dans le monde, il a fallu prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger avant tout les employés de cette pandémie et par conséquent adapter les conditions de travail et adopter massivement le télétravail. Cette nouvelle donne n’a été qu’une formalité car il existe une grande flexibilité au sein de Western Union et le télétravail était déjà partie prenante de la culture d’entreprise. La pandémie a par ailleurs impacté un certain nombre de procédures de compliance. À titre d’exemple, les obligations de contrôle des agents « agent oversight program », dont une très grosse partie des audits se faisaient sur place se feront désormais (COVID-19 oblige, et jusqu’à nouvel ordre) à distance. Il faut donc revoir la matrice d’appréciation des risques. Pour finir, comme indiqué tant par le Groupe d’action financière (GAFI) que par un certain nombre de régulateurs en Europe, des analyses sont effectuées régulièrement pour détecter de potentiels nouveaux schémas de blanchiment de capitaux et plus particulièrement de fraudes qui pourraient être liés à cette situation de pandémie mondiale.

AT Europe : Quelle est le secret de votre réussite dans ce secteur de la prévention du crime financier ?

DB : Avoir été là au bon moment ! J’ai senti, assez vite, que la compliance allait se développer et devenir un métier en soi. Force est de constater, d’ailleurs, qu’elle a fort heureusement et assez rapidement dépassé la simple accumulation des contrôles réglementaires bancaires de mon stage de fin d’étude ! Il y a, en somme, un écho entre des valeurs personnelles profondément ancrées et les valeurs d’éthique professionnelle véhiculées par la compliance. La compliance, en ce sens, est aussi une passion. J’ai à cœur de transmettre cette passion et l’expérience que j’ai acquises ; et que je continue sans cesse d’acquérir, aux générations futures. Sans vouloir être trop idéaliste, derrière cette envie se cache secrètement l’ambition de voir émerger un monde meilleur. J’ai réalisé que l’on pouvait, à travers notre métier, participer à un acte plus grand que nous. Travailler dans la compliance, c’est essayer de réintroduire ou d’introduire de l’éthique dans une société, qui parfois, dérive. La compliance porte une vision politique, une idée du collectif, qui sans être rattachée à un parti politique en particulier, vise aussi à rendre notre monde plus vivable. J’aime cette image de la balance, symbole de la justice. Je recherche constamment un équilibre ; nous ne pouvons échapper à l’idée de créer de la valeur. La finance est incontournable. A côté de cela, je suis en recherche d’éthique et de la manière de concilier cette éthique avec le monde dans lequel nous évoluons. Le métier de la compliance me permet d’harmoniser ces deux univers. 

Interviewé par : Nathalie Bosse, CAMS, T & Co, fondatrice, Paris, France, nathalie.bosse@protonmail.com

  1. « DU Compliance Officer, spécialité lutte-anti-blanchiment », L’Université Paris-Saclay, https://www.uvsq.fr/du-compliance-officer-specialite-lutte-anti-blanchiment

Leave a Reply